Shakuhachi

La flûte traditionnelle japonaise

À l'occasion d'un concert de musique traditionnelle japonaise qui s'est déroulé dans l'enceinte de l'église de Montbrun les Bains le 3 août 2006, partons à la découverte de la flûte classique japonaise pour « atteindre l'éveil par un seul son » avec le Shakuhachi, instrument mystique et mythique.

Le shakuhachi (尺八 ou chibâ en chinois) est une flûte droite en bambou percée de cinq trous, dont l'encoche est biseautée vers l'extérieur. Le biseau, très fragile, est renforcé par une petite pièce en corne, en os ou en ivoire, dont la forme varie selon les écoles. Généralement démontable en deux morceaux, la flûte est fabriquée dans un pied de bambou Madaké qu'on laisse sécher trois ans avant de commencer la fabrication. L'extérieur de l'instrument reste naturel alors que l'intérieur du tuyau, taraudé selon une perce conique, est soigneusement laqué. Un shakuhachi comporte toujours sept nœuds de bambou et les racines sont visibles à sa base. Le mot shakuhachi signifie littéralement «un pied et huit pouces»; c'est la longueur de l'instrument le plus utilisé, soit 54,5 cm, mais ce nom générique désigne toute une famille de flûtes de diverses longueurs.

Le shakuhachi donne les notes de base : ré-fa-sol-la-do, sur une étendue de deux octaves et demi. Mais on peut émettre les douze sons de la gamme chromatique grâce à la technique Meri-Kari. En utilisant des doigtés partiellement bouchés ou «de fourche» et en faisant varier l'inclinaison du souffle sur le biseau, on modifie la hauteur des sons ainsi que la qualité du timbre. Sur cette technique repose toute l'originalité et la richesse du shakuhachi. L'impossibilité d'égaliser l'émission des notes conduit à produire des sons de nature forte et d'autres de nature faible (symbolique Yin-Yang). L'inclinaison de la tête du musicien par rapport au biseau de la flûte génère toute une série d'effets et d'ornements, ainsi que diverses attaques sur le souffle et roulements de langue ou de gorge. Il n'y a pas de vibrato de la colonne d'air, seule une ondulation d'amplitude et de fréquence variables peut être obtenue par des mouvements de tête.

Le shakuhachi, comme d'ailleurs la plupart des instruments japonais, est probablement d'origine chinoise. Importé au Japon vers l'an 700 (en même temps que le bouddhisme), il fut utilisé dans l'orchestre impérial de Gagaku pendant la période Heian (794-1185). Tombé en désuétude, il réapparaît timidement pendant la période Muromachi (1333-1615), aminci et percé de six trous sous le nom de hitoyogiri, joué par des prêtres bouddhistes mendiants.

Des traditions obscures lieraient le bouddhisme zen et le shakuhachi dès son origine. Cependant on ne peut établir cette relation avec certitude qu'au 17ème siècle avec l'apparition des moines Komuso (littéralement « moines du Vide et du Rien »). Ces moines, souvent d'anciens samouraïs sans maître (Ronin), avaient perdu leurs privilèges lors des violentes luttes de clans qui marquèrent la fin du 16ème siècle et fondèrent à Kyoto le temple Meian qui abrita l'école Fuké, du nom d'un moine légendaire du 10ème siècle. Les moines Komuso, n'ayant plus le droit de porter les deux sabres, se défendaient parfois à l'aide du shakuhachi en s'en servant comme d'une matraque. C'est à cette époque d'ailleurs qu'il prit sa forme actuelle, plus long, plus épais que le hitoyogiri. Pour eux, le shakuhachi ne constituait qu'un élément parmi d'autres de leur pratique religieuse, c'est-à-dire un hoki, un instrument d'éveil. A la méditation assise zazen, s'associait le suizen, littéralement zen du souffle. Quelques expressions sont révélatrices de cette approche du shakuhachi ; ichion jobutsu : atteindre l'éveil par un seul son ou chikuzen ichinyo : le bambou (la flûte) et le zen ne font qu'un.

Cette pratique donna naissance à une forme musicale, le Honkyoku (littéralement morceau véritable, fondamental), long solo de shakuhachi à caractère méditatif. La ligne mélodique importe moins que la qualité de chaque son. Le timbre du shakuhachi donne une impression de calme, de maîtrise de soi, de grandeur et d'irréel aux auditeurs tandis que l'exécutant éprouve une profonde sensation de paix.

Kinko Kurosawa (1710-1771), ancien élève de l'école Meian, créa ensuite l'école Kinko (Kinko-ryu), dont la tradition s'est transmise jusqu'à nous. Il rassembla 36 pièces de Honkyoku, véritables «classiques» du shakuhachi. L'enseignement du shakuhachi se transmet essentiellement par imitation directe. Le maître parle peu, on répète un morceau jusqu'à ce qu'il soit parfait, puis on passe à un autre. Il existe des partitions, mais elles sont très incomplètes et ne donnent que les grandes lignes. La présence d'un professeur est indispensable pour jouer le répertoire Honkyoku.

Au début de l'ère Meiji (vers 1870), avec la dissolution de l'ordre Komuso, apparut l'école Tozan (Tozan-ryu), dont le but était d'enseigner au plus grand nombre. Les deux écoles religieuses s'ouvrirent alors aux laïcs et le shakuhachi fut utilisé également dans le Sankyoku (ou Sangen), musique profane où se mêlent la voix, le koto (cithare), le shamisen (luth) et la flûte. À l'occasion des grandes fêtes populaires, on peut entendre le shakuhachi accompagnant des chants folkloriques dans le style Minyo.

Les conséquences désastreuses de la Seconde Guerre mondiale ainsi que l'américanisation à outrance qui s'en suivit faillirent faire disparaître la tradition du shakuhachi, alors complètement délaissé. Malgré toutes ces péripéties, l'après-guerre voit l'émergence de grands maîtres, dont Watasumi Doso et son élève, Katsuya Yokoyama qui feront beaucoup pour la diffusion du shakuhachi hors des frontières du Japon. Enfin, les compositeurs contemporains, japonais et occidentaux, composent de nombreuses œuvres utilisant le shakuhachi.

Publié le: 27 juin 2006 (mis à jour le 01 oct. 2023)

Auteur: Fondation Franco Japonaise Sasakawa

Photos: repro courtisane J.-Pierre Dalbéra (CC-BY-SA 2.0), autres domaine public