Les secrets de fabrication du Picodon!

Le petit fromage piquant

De part sa situation privilégiée, notre canton est le seul dans la Drôme à remplir les conditions des cahiers de charge A.O.C. de deux fromages emblématiques de la Haute-Provence, à savoir le Picodon et le Banon. Matthieu Houssin, ancien éleveur et producteur de Picodon AOC, nous livre aujourd'hui les secrets du Picodon... enfin, quelques uns !

Pour faire du Picodon, il faut avant tout avoir des chèvres toute l’année! La fabrication du fromage de chèvre est un travail qui occupe le fromager/éleveur 12 mois par an. Et Bien sûr, il faut du lait et pour avoir du lait il faut que la chèvre porte des chevreaux.

L'appellation AOC n'impose pas de race particulière. La chèvre commune, l'Alpine chamoisée, les Rove, Corse ou Poitevine, Saanen, sont les variétés que l'on rencontre en Provence. Indépendamment des directives administratives ou européennes qui délimitent la zone géographique d'élevage et de production, un des secret pour faire un bon picodon , est que la chèvre se sentent bien dans son espace de vie, et par expérience, je peux affirmer que nos Baronnies Provençales sont un peu le pendant de la corne d'abondance d'Amalthée !

Le troupeau est constitué d’un bouc (1 pour 25/30 chèvres) qui est introduit au moment choisi à l’automne (atavisme de la chèvre qui met bas au printemps, à la repousse de l’herbe, comme les herbivores sauvages, à contrario des industriels de la chèvre qui sont là pour leur faire faire du lait quand ça arrange les grandes surfaces, c’est-à-dire toute l’année...Il est important de noter également qu'un fromage d'appellation fermière est élaboré à partir d' un caillé frais uniquement, alors que celui d'appellation laitière peut utiliser un caillé congelé.)

Donc, 5 mois après l’introduction du bouc, lorsque cela se passe bien, les chevreaux naissent (1, 2 voir 3 par chèvre). Dix jours après les mises bas, date légale, on peut commencer à faire des picodons.

La fromagerie a été abandonnée pendant 3 mois, ce qui correspond à la durée de tarissement (Il faut savoir que durant la lactation, nous y allons une dizaine de fois par jour voire plus). Celle-ci est complètement nettoyée, elle est propre, neutre, il n’y plus ou peu de bactéries qui y vivent. Il faudra donc un peu aider le lait à prendre par le chauffage (nous sommes fin janvier-début février) ; acidifier le lait (avec le petit lait des beaux caillés de l’année précédente gardé au congélateur) et ajouter du pénicillium pour réensemencer la fromagerie (le pénicillium, pas longtemps seulement quelques jours).

Dans la fromagerie, après la traite et la filtration du lait, emprésurage du lait (la prise va durer 24 h pour le lait du matin et 36 heures pour le lait du soir (la fabrication des fromages se fait une seule fois par jour : le matin).

Si tout se passe bien, 24 h plus tard, moulage du caillé lactique dans les faisselles (moules). Parfois, le premier lait est un peu paresseux et il va mettre 36 voir 48 h à prendre , l'impatience et l'affolement ne sont donc pas de mise. Une des différences que l'on peut noter entre le Picodon et le Banon est le caillé: il sera lactique pour le Picodon et présure pour le Banon.

Le travail de fromagerie à lieu le matin et toujours après la traite.

Les moules remplis de caillés sont mis à égoutter, et stockés sur les tables d’égouttage. On peut éventuellement récupérer ce petit lait qui est destiné aux cochons ou aux canards auquel nous pouvons y ajouter de la farine d’orge, des pommes de terre, des restes, différents herbages frais d’été, de la luzerne, sain foin, glands …

12 h plus tard, le soir avant la traite il faut retourner les fromages et les saler sur une face. Ensuite nous procédons à la traite, au nettoyage et l’emprésurage du lait du soir après addition du petit lait (la nuit est courte!).

Le lendemain, après la traite, démoulage et salage sur l’autre face du fromage. Ressuyage des fromages sur des grilles en inox pendant 24h. Les fromages restent dans la fromagerie 1 jour à température ambiante et ceci tous les jours pour les nouveaux fromages. Ces fromage ressuyés 24 h dans la fromagerie sont mis dans la salle de séchage (ou température et hygrométrie sont stables: 16° & 70% d'humidité).

Dans la salle de séchage, les fromages vont y rester le temps qu’il faudra c’est-à-dire de 2 à 4 jours car malgré le contrôle de la température, de l’hygrométrie, la température extérieure, et les conditions extérieures influent sur le séchage des fromages. Lors du séchage, certains accidents peuvent arriver tels que les « poils de chat » (mucor), amertume, etc. …

Cette étape terminée, les fromages sont stockés dans une autre pièce, le hâloir, où ils vont s’affiner à une température comprise entre 9 & 11°.

S’il n’y a aucun incident (caillés qui ne prennent pas, ou pas terribles, égouttage, salage), au bout d’un certain temps les fromages se couvrent de fleurs bleues, blanches et sèchent en gardant ces moisissures nobles qui vont se tasser sur le fromage.

Question essentielle : qu’est-ce-qui fait que le Picodon est bon ?

Plusieurs paramètres agissent à des degrés divers : la chèvre, l’herbe, le temps qu’il fait, le lait qui change et un peu le fromager qui doit avoir le «coup de main ».

Une chèvre en bonne santé, c’est une chèvre qui marche, qui sort régulièrement et qui « mange à fond » (elle ne fait que transformer ce qu'elle mange). Elle est grande, elle a « le poil brillant », la mamelle attachée haut (pour éviter les blessures), un bon équilibre poids/quantité de lait (point trop n’en faut), pas de chèvre de concours, une herbes variée, du cultivé mais pas trop de luzerne verte car ça les fait gonfler, le sainfoin qu’elles adorent, s’en méfier car cela peut donner du goût au lait, du sauvage, des arbustes, du chêne blanc, du chêne vert…, il faut qu’elle ne fasse pas trop de kilomètres pour manger car les calories/km éliminent les calories/lait ; ne pas les sortir à tout prix : le foin économisé est perdu en lait et difficile à rattraper.

La fromagerie doit être en matériaux qui respirent. Elle ne doit pas être en béton, ni trop carrelée, ni être en PVC, un fromage de qualité est difficilement concevable dans un laboratoire aseptisé, c’est propre mais rien ne s'y accroche sauf le mauvais ! (listeria ou autres enterobacteriaceae)

Le lait est différent au fil des saisons. Son goût peut dépendre de l’alimentation.

Le fromager/éleveur doit être avant tout observateur, il doit être attentif, il doit se rendre dans la fromagerie plusieurs fois par jour (10 fois au moins), avoir l'œil et le nez (bonne ou mauvaise odeur du fromage) ….

Si tous ces paramètres sont respectés, nous obtenons un Picodon de très grande qualité!

Publié le: 26 mars 2010 (mis à jour le 29 sept. 2023)

Auteur: Matthieu Houssin, éleveur et fromager aujourd'hui retraité !

Photos: nostromo CC-BY-SA 4.0 attribution : www.montbrunlesbains.com